La situation de la peine de mort
en Afrique subsaharienne.
Introduction
Si comme l’affirme le poète Persan, SAADI :
« Avoir pitié de la panthère, c'est être injuste envers les moutons.»,
nous disons aussi que « l’élimination de la panthère ne rendra pas
les moutons à la prairie ».
L’exécution le 21 septembre
2011 par injection de Troy Davis (un Noir) en Georgie, sud-est des USA, après
être resté plus de 20 ans dans le couloir de la mort pour le meurtre d’un
policier (Blanc) vient nous rappeler encore une fois, si encore besoin en était,
combien la peine de mort est un châtiment cruel, dégradant, inhumain, etc., une
négation inacceptable du droit à la vie. Et pourtant jusqu’à son dernier souffle
M. Davis a clamé son innocence d’autant plus qu’il y avait de sérieux doutes
sur sa culpabilité.
La peine de mort, ce châtiment
extrême a toujours déchaîné des débats passionnels suscitant parfois des
réactions instinctives dont les partisans et adversaires se battent à coup
d’argumentations rationnelles. Pour les uns en effet la peine de mort est une
arme de dissuasion. Par la crainte qu'elle inspire, elle peut retenir un
criminel. Pour les défenseurs de cette thèse la peine de mort permet á la
société de se prémunir contre ses ennemis les plus dangereux en les expulsant
définitivement de celle-ci, revenant dès lors á la loi du Talion, « œil
pour œil, dent pour dent » et j’ajouterai, meurtre pour meurtre. Cette
théorie pragmatique aurait pour finalité de faire baisser le taux de criminalité.
Ce raisonnement traditionnel, d'ordre utilitaire [1], est le plus utilisé de nos jours pour justifier
le maintien des articles qui prévoient la peine capitale dans des Codes pénaux
de certains pays.
Pour les autres par contre, cette
finalité de la peine de mort consistant en l’élimination physique n’a jamais
permis de freiner l’ascendance de la criminalité. Elle n’aurait jamais été intimidante
pour les criminels. Bien au contraire elle permettrait à ceux-ci d’être plus
violents dans leurs forfaits et surtout de ne laisser aucune trace de vie,
aucun témoin de leurs actes. L’Afrique ne vivant pas dans un « no man’s
land », ne vivant donc pas en vase clos a été atteint par ce débat. Qu’en
est-il de la peine de mort dans les pays d’Afrique subsaharienne ?
Y pratique-t-on le châtiment
extrême ? L’Afrique est un continent qui regroupe avec l’indépendance le 9
juillet 2011 de la République du Sud Soudan 55 pays[2]. Tous les Etats sont-ils réfractaires á la peine
de mort ? Combien sont-ils pour cette peine capitale ? Pour apporter
quelques éléments de réponse à ces interrogations nous verrons dans un grand I les
Etats abolitionnistes d’Afrique subsaharienne. Nous verrons ensuite dans un
grand II les Etats qui pratiquent encore la peine de mort devenant ainsi réfractaires
à la résolution de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
sur le moratoire de la peine capitale.
I. Les Etats
abolitionnistes de la peine de mort d’Afrique subsaharienne
En 1948 la Déclaration
universelle des droits de l’homme proclame le droit à la vie et le respect de
la personne humaine; en 1950, est signée la Convention européenne de droits de l’homme dont le principe essentiel est le respect dû à la personne humaine.[3]
Ce principe est d’ailleurs entériné par la Charte africaine des Droits de
l’Homme et des peuples de 1981. Il a fallu cependant plus d’un demi-siècle,
pour que l’Union africaine lors de sa 44ème session ordinaire tenue
du 10 au 24 novembre 2008 á Abuja, au Nigeria, crée une commission africaine
des droits de l’homme. Celle-ci adoptera une résolution appelant les Etats
africains á observer un moratoire sur les exécutions. Ce qui constituera un
énorme pas vers l’abolition totale de la peine de mort au sein de l’Union
africaine. Cette Commission réunie en sa 46ème session ordinaire
tenue du 11 au 25 novembre 2009 á Banjul, en Gambie a rappelé encore une fois sa mission de promouvoir les
droits de l’homme et des peuples et de veiller à leur protection en Afrique en
vertu de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle a aussi
rappelé la résolution ACHPR/Res. 42 (XXVI), adoptée lors de la 26ème
session ordinaire tenue à Kigali, Rwanda qui exhortait les Etats à envisager un
moratoire sur la peine de mort.
En adoptant cette résolution,
la commission africaine s’est alignée sur la tendance générale á l’abolition de
la peine de mort. C’est pourquoi 16 Etats se sont inscrits aussitôt dans cette
droite ligne de l’abolition de la peine de mort dans leurs textes juridiques.
Ce sont :
1) Afrique du sud : Dernière exécution : 1991 ; Abolition : 1997, Ratification du protocole : 2002 2) Angola : abolie en 1992
3) Bénin : abolie en août
2011
4) Burundi : abolie 2009
5) Cap Vert, dernière
exécution en 1835 ; abolition en 1981 ; ratification en 2000
6) Côte d’Ivoire, abolie en 2000
7) Djibouti, abolie en
1995 ; ratification en 2002
8) Gabon, abolie le 21 février
2011
9) Guinée Bissau, abolie en
1993
10) Maurice, abolie en
1995 ; dernière exécution 1987
11) Mozambique, abolie en
1990 ; dernière exécution en 1986, ratification en 1993
12) Namibie, abolie en
1990 ; ratification en 1994
13) Rwanda, abolie en 2007,
ratification en 2008
14) Sao Tomé et Principe, abolie
en 1990
15) Sénégal, abolie en 2004,
dernière exécution en 1967
16) Seychelles, abolie en
1993 ; ratification en 1994
17) Togo, abolie en 2009
Parmi ces pays les uns ont non
seulement aboli la peine de mort dans leurs textes juridiques, en l’occurrence
dans les codes pénaux et la constitution, mais ils ont aussi ratifié le 2ème
Protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et
politiques des nations Unies. Ce sont :
1) Afrique du sud :
Abolition : 1997, Ratification du protocole : 2002,
2) Cap Vert, abolition en
1981 ; ratification en 2000
3) Djibouti, abolie en
1995 ; ratification en 2002
4) Mozambique, abolie en 1990,
ratification en 1993
5) Namibie, abolie en
1990 ; ratification en 1994
6) Rwanda, abolie en 2007,
ratification en 2008
7) Seychelles, abolie en
1993 ; ratification en 1994
Ils sont ainsi 7 pays qui ont
aboli la peine de mort et ratifié le protocole des Nations Unies sur la
question.
A côté de ces pays, nous avons
ceux qui ont simplement aboli la peine de mort dans leur arsenal juridique sans
pour autant avoir ratifié le 2ème Protocole facultatif au pacte
international relatif aux droits civils et politiques des nations Unies.
II. Les Etats « voyous » ou encore les Etats d’Afrique subsaharienne
appliquant la peine de mort.
Dans cette catégorie de pays
nous observons aussi deux cas. Il y a un groupe de pays, qui, il est vrai,
n’ont pas aboli la peine de mort dans leurs arsenaux juridiques mais qui cependant ne l’appliquent
pas depuis plus de dix ans, respectant ainsi le moratoire de la commission
africaine. A côté de ceux-ci il y a évidemment les Etats qui ne veulent
d’intervention étrangère dans leur loi interne l’appliquant dès lors dans toute
sa rigueur. Voyons donc le premier cas cad,
A. Les Etats ayant plus de 10 ans de non application de la peine de mort
Ils sont au nombre de 21. Ce sont : Algérie, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Gambie, Ghana, Kenya, Lesotho, Libéria, Madagascar, Malawi, Mali, Maroc, Mauritanie, Niger, Swaziland, Tanzanie, Tunisie, Zambie.
B. Les Etats appliquant véritablement la peine de mort
Enfin voyons le dernier cas, cad les Etats qu’on peut appeler voyous car restant sourds aussi bien au moratoire de la Commission de l’Union africaine qu’au 2ème Protocole facultatif au pacte international relatif aux droits civils et politiques des nations Unies. Ce sont : Botswana, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Guinée française, Guinée équatoriale, Libye, Nigeria, Ouganda, RDC, Sierra Leone, Somalie, Soudan du Nord, Soudan du Sud, Tchad, Zimbabwe. Ils sont donc au nombre de 16 Etats.
Conclusion
La peine de mort est un
héritage de l’arsenal juridique colonial dont sont inspirés les codes pénaux
des pays d’Afrique subsaharienne. Les anciens pays colonisateurs ont cependant
modifié leurs textes de loi permettant de supprimer la peine de mort. Plus de
50 ans après la vague de la décolonisation certains pays maintiennent encore la
peine de mort dans leurs arsenaux juridiques. Ainsi tant que ces textes n’ont
pas été modifiés les juridictions de ces Etats continueront à prononcer la
peine de mort là où elle est requise. Il faut cependant dire que la peine de
mort est encore largement plébiscitée par certaines populations africaines surtout
dans le contexte actuel d’insécurité, de narcotrafiquants et de terrorisme dans
ces pays. De plus la subsistance de la peine de mort dans certains Etats
africain est étroitement liée à loi islamique, la charia ou encore à la
persistance des guerres internes, c’est pourquoi la question de son abolition
s’avère relative ou même difficile.
En outre dans certains pays en
Afrique le maintien de la peine de mort est une épée de Damoclès pour tous les
défenseurs de droit de l’homme (souvenons-nous du Nigeria de l’ex-Président Sani
Abacha qui fit l’exécuter Ken Saro Wiwa, un défenseur des droits de l’homme en
région Ogonis au Nigéria).
Elle devient un
moyen d’oppression contre tous les partis d’opposition, un outil efficace pour
contrôler les populations quand on sait que les décisions sont régulièrement
rendues contre les membres de l’opposition au Tchad, en RDC ou encore au
Zimbabwe. C’est pourquoi l’Union Africaine a créée une Commission des Droits de
l’homme qui a adopté une résolution appelant les Etats membres á observer un
moratoire sur l’exécution de la peine capitale en vue de l’abolir, conformément
à la Résolution 62/149 de l’Assemblée Générale des Nations Unies, adoptées en
2007 sur la peine de mort mais aussi en conformité avec les tendances actuelles
du droit international qui encouragent l’abolition de la peine de mort, en
particulier, le 2ème Protocole facultatif au pacte international
relatif aux droits civils et politiques, les Statuts de la Cour Pénale
internationale et la résolution 2005/59 de la commission des droits de l’homme
des Nations Unies relative à la peine de mort. La mise au travail de la
commission a permis de mettre en mouvement l’abolition de la peine capitale sur
le continent. Ainsi comme nous l’avons vu, les 2/3 des pays du continent africain
sont abolitionnistes en droit (17) et en fait (21) et 13 autres ont accordé un
moratoire á son application (certains viennent des 21 et les autres sont des 16
restants), démontrant ainsi que sur ce terrain, l’Afrique pour une fois n’est
pas une championne des exécutions capitales.
Le droit pénal traditionnel africain
Au vu de ce qui précède remarquons
que la peine de mort a existé dans plusieurs pays africains et existent encore
aujourd’hui dans certains autres. Cependant cette peine en tant que telle était
inconnue dans le droit pénal traditionnel africain. Cela s’explique par le fait
que les buts poursuivis ne sont pas les mêmes. En effet dans le droit moderne la
fonction rétributive et utilitaire de la peine selon l’approche classique
repose sur ce postulat fondamental selon lequel
l'être humain est doué d'un libre arbitre. En conséquence, il choisit librement
de commettre les actes interdits par la loi pénale. Les doctrines rétributives,
issues de l'Ancien régime, assimilent la faute
au péché. La peine, juste en elle-même, doit
faire souffrir le condamné, la douleur étant posée comme condition d'expiation de la faute
commise. Les théories utilitaires, issues de la période révolutionnaire, sont
dominées par le souci de défense de la société.
Elles prônent que la peine a pour but
d'empêcher le crime. On comprend alors que les doctrines rétributives s'attachent à atteindre le
condamné lui-même par des châtiments corporels
souvent définitifs. A l'inverse mais avec
autant de sévérité,
la peine utilitaire doit conduire à détourner du crime par intimidation, le «
crime devant se faire davantage craindre par
la répression à laquelle il expose que désirer par la satisfaction qu'il procure». C’est donc une notion de prévention du crime
qui domine ici.
Dans le droit traditionnel par
contre la peine n’a pas ce but expiatoire car ce droit n’a pas pour objectif de
trancher un conflit entre
les parties et préciser qui a tort et qui a raison comme cela se voit dans le
droit moderne. Sa tâche principale consiste á apporter la paix sociale dans la
communauté, à réunifier la société troublée par un de ses éléments. La cohésion
de l’ensemble du groupe se trouve établie de même que l’harmonie entre les
membres de ce groupe social. C’est pourquoi la recherche de cette cohésion
repose d’abord sur les épaules des plus anciens mais aussi sur tous les membres
de la communauté. Cette conviction repose sur des conceptions mystiques.
L'obéissance à
la loi
traditionnelle est un acte de respect
envers les ancêtres, dont les pieds restent dans le sol et
l’esprit surveille les vivants: C’est pourquoi chacun sait
exactement ce qui devrait arriver et ce qui est interdit. L’on suit volontairement
les coutumes traditionnelles et ne se demande pas si cela est légal ou non.
La conséquence d'une désobéissance à ce droit conduirait à une violente réaction des esprits des ancêtres.
La
commission d’une infraction ou d’une déviance s’expliquera par des phénomènes
surnaturels, extérieurs ou intérieurs qui auraient poussé l’infracteur á
commettre l’infraction. Dès lors celui qui commet cette infraction n’est pas un
auteur mais plutôt une victime d’un déterminisme auquel il n’a pas pu échapper.
Dès lors la sanction ne peut être une mesure expiatoire ou de vengeance comme
dans le droit moderne mais plutôt comme des mesures permettant à
l'auteur-victime de pouvoir réintégrer la société et permettre à la communauté
d’être unie. Ces mesures pourraient consister à des séances d’exorcisme pour
libérer l’individu des esprits mauvais qui l’habiteraient et l’auraient conduit
sur le mauvais chemin de l’infraction ou de la déviance ou encore en des
châtiments corporels destinés á extraire le mauvais esprit du corps de
l’individu mis en condition de transe en le battant.
[1] Jean
TOULAT, La peine de mort en question, p. 43, éditions
pygmalion, Paris 1977.
[2] Tous ces pays sont membre de l’Union africaine sauf le Maroc qui
avec l’entrée de la RASD a décidé ne plus faire partie de l’Union.
[3] Thibault,
Laurence: La peine de mort en France et à l’étranger, éditions Gallimard, Paris
1977.
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